Lorenzaccio, Alfred de Musset, Acte I, scène 4, 1834 - Extrait

SIRE MAURICE. – Celui qui se croit le droit de plaisanter doit savoir se défendre. À votre place, je prendrais une épée.

LORENZO. – Si l'on vous a dit que j'étais un soldat, c'est une erreur ; je suis un pauvre amant de la science.

SIRE MAURICE. – Votre esprit est une épée acérée, mais flexible. C'est une arme trop vile ; chacun fait usage des siennes. (Il tire son épée.)

VALORI. – Devant le duc, l'épée nue !

LE DUC, riant. – Laissez faire, laissez faire. Allons, Renzo, je veux te servir de témoin ; qu'on lui donne une épée !

LORENZO. – Monseigneur, que dites-vous là ?

LE DUC. – Eh bien ! ta gaieté s'évanouit si vite ? Tu trembles, cousin ? Fi donc ! tu fais honte au nom des Médicis. Je ne suis qu'un bâtard, et je le porterais mieux que toi, qui es légitime ? Une épée, une épée  ! un Médicis ne se laisse point provoquer ainsi. Pages, montez ici ; toute la cour le verra, et je voudrais que Florence entière y fût.

LORENZO. – Son Altesse se rit de moi.

LE DUC. – J'ai ri tout à l'heure, mais maintenant je rougis de honte. Une épée ! (Il prend l'épée d'un page et la présente à Lorenzo.) […] Regardez Renzo, je vous en prie ; ses genoux tremblent ; il serait devenu pâle, s'il pouvait le devenir. Quelle contenance, juste Dieu ! je crois qu'il va tomber. (Lorenzo chancelle ; il s'appuie sur la balustrade et glisse à terre tout d'un coup.)

LE DUC, riant aux éclats. – Quand je vous le disais ! personne ne le sait mieux que moi ; la seule vue d'une épée le fait trouver mal. Allons, chère Lorenzetta, fais-toi emporter chez ta mère.

(Les pages relèvent Lorenzo.)

SIRE MAURICE. – Double poltron ! fils de catin !

LE DUC. – Silence ! sire Maurice ; pesez vos paroles ; c'est moi qui vous le dis maintenant ; pas de ces mots-là devant moi. (Sire Maurice et Valori sortent.)

VALORI. – Pauvre jeune homme !

LE CARDINAL, resté seul avec le duc. – Vous croyez à cela, monseigneur ?

LE DUC. – Je voudrais bien savoir comment je n'y croirais pas.

LE CARDINAL. – Hum ! c'est bien fort.

LE DUC. – C'est justement pour cela que j'y crois. Vous figurez-vous qu'un Médicis se déshonore publiquement, par partie de plaisir ? D'ailleurs ce n'est pas la première fois que cela lui arrive ; jamais il n'a pu voir une épée.

LE CARDINAL. – C'est bien fort, c'est bien fort. (Ils sortent.)

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